Le parlement a voté cette semaine ce qu’on appelle les ordonnances Macron qui modifient en profondeur le code du travail et qui ont suscité beaucoup de débats et d’oppositions. Mal connues dans le détail ces ordonnances comportent un volet spécifique sur le télétravail avec différentes mesures qui vont faciliter cette pratique, plébiscitée par une grande majorité de salariés, mais encore mal vue des employeurs et crainte par les managers. Au delà de cette libéralisation du télétravail, c’est l’essor sans précédent des nouvelles formes de travail liées au numérique qui est en jeu puisque le coworking est également en pleine croissance. Mais cela pose de nouvelles questions car une possible généralisation du travail à distance et collaboratif n’est pas sans risques et il nécessite de repenser totalement nos collectifs de travail qui se sont structurés il y a déjà 150 ans.
Qu’est-ce que les ordonnances Macron modifient sur la pratique du télétravail ?
Pour résumer, les ordonnances Macron lèvent pas mal de freins réglementaires et juridiques au télétravail. Tout d’abord, celui-ci peut enfin se faire légalement de façon occasionnelle. Ce qui colle à l’usage réel du télétravail qui requiert beaucoup de souplesse. Ensuite, la prise en charge d’un accident du travail en situation de télétravail se fera dans les mêmes conditions que si l’accident survenait au siège de l’entreprise. Enfin, le gouvernement va obliger un employeur qui refuse le télétravail à un salarié de justifier et de motiver ce refus. Une sorte de renversement de la charge de la preuve qui opère un véritable changement culturel par rapport à cette pratique.
Peut-on pour autant parler d’un droit au télétravail ?
Pas tout à fait mais on y vient. Le télétravail est toujours basé sur le double volontariat : celui de l’employeur et de l’employé. Aucun des deux ne peut l’imposer à l’autre. La nouveauté des ordonnances repose sur cette nécessaire motivation d’un refus de la part de l’employeur. Autrement dit, ce dernier devra justifier précisément pourquoi il refuse le télétravail au salarié de façon argumenté. Nous verrons dans quelques mois ce que dira la jurisprudence à ce sujet. Quoiqu’il en soit, ces différentes avancées ont aussi une forte charge symbolique. On est dans le registre de ce qu’on appelle la « soft law ». Ces ordonnances sont un vrai stimulateur pour faire progresser le télétravail en France, qui est disons-le, très en retard par rapport aux pays scandinaves par exemple.
Ce développement ne risque t-il pas de faire exploser les collectifs de travail ?
C’est un argument avancé par de nombreux employeurs et managers car c’est un vrai risque. D’ailleurs, certaines entreprises pionnières comme IBM, Yahoo ou Hewlett Packard qui sont allés très loin dans la mise en place du télétravail sont revenues en arrière. Pour comprendre, revenons un peu en arrière. Il y a 150 ans, à Lyon, sur la colline de la Croix-Rousse, près de 80 000 canuts travaillaient déjà depuis leur domicile. Puis la révolution industrielle a déplacé les outils de travail dans les manufactures, puis dans les bureaux. Le droit et les codes culturels du travail que nous connaissons se sont ainsi constitués. Mais aujourd’hui, le numérique fait tout exploser en permettant de travailler où l’on veut et quand l’on veut. Il ne nous dit pas pour autant comment renouveler les collectifs de travail.
Le coworking, comme réponse à l’atomisation des collectifs de travail.
Le succès et la croissance exponentielle du coworking dans le monde est sans doute lié à la réponse que le coworking apporte concrètement à l’explosion des collectifs de travail. Selon la Global Coworking Survey de 2017, le nombre de coworkers a plus que doublé entre 2015 et 2017, passant de 500 000 à près d’1,2 millions aujourd’hui. En six ans, le nombre d’espaces de coworking a été multiplié par 10, passant d’un millier en 2011 à près de 14 000 en 2017. Ce phénomène d’hyper-croissance s’observe aussi en France et plus particulièrement à Lyon qui compte des entreprises pionnières dans le coworking comme La Cordée et des nouveaux venus comme NowCoworking ou Wereso. Etymologiquement le coworking cela veut dire « travailler ensemble ». C’est évidemment une réponse concrète à l’atomisation des collectifs de travail lié notamment à la numérisation du travail.
Bientôt le tour des salariés ?
Les freelances et start-upper ont été les pionniers du coworking car pour eux, se regrouper était vital. Economiquement, pour mutualiser l’espace de travail mais également socialement, pour constituer des communautés solidaires, des collectifs de travail d’un nouveau genre. Aujourd’hui, de plus en plus de salariés fréquentent les espaces de coworking. Par exemple, si une entreprise allemande veut ouvrir un bureau à Lyon, elle va placer son salarié dans un espace de coworking. Cela lui coutera beaucoup moins cher qu’un bureau classique et son salarié sera plus vite intégré dans la vie économique et sociale lyonnaise. Les entreprises commencent aussi à intégrer le coworking comme une façon de travailler à part entière dans leur organisation. On parle même de corpoworking. C’est sans doute cela la vrai révolution du travail.
Des perspectives de croissance importantes.
Le coworking n’est déjà plus réservé à quelques centres spécialisés ici ou là. Il désigne désormais une façon de travailler qui facilite le travail collectif, l’innovation, l’entraide, le brassage, la mixité. Cela constitue une vraie réponse à l’explosion des collectifs de travail que le numérique opère dans les entreprises. A l’avenir, il est probable que de plus en plus d’actifs travailleront d’un lieu à un autre, alterneront leur présence entre leur domicile, le siège de l’entreprise, un centre de travail partagé ou encore les transports en commun qui sont aussi devenus de véritables espaces de travail. Il suffit de prendre le TER ou le TGV pour s’en rendre compte.
Un nécessaire outillage technologique
Un risque de dispersion et d’instabilité bien sûr. Mais l’être humain s’adapte vite et cette agilité est désormais requise pour évoluer dans le monde instable de la transformation numérique. Un ensemble d’outils, de plateformes et de méthodes sont entrain de voir le jour pour faciliter cette évolution et optimiser cette itinérance professionnelle. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre le travail sédentaire et le travail nomade.
Bref, un petit condensé de l’histoire humaine en quelque sorte….